samedi 15 mars 2008

Les ectoplasmes de la pensée fast-food II

Règle 2:le renvoi d'ascenseur ou comment un ectoplasme cloture son champ. Dans l'espace médiatique ainsi occupé ne peut s'intégrer que des ectoplasmes de meme acabit:reprenons Castoriadis ou nous l'avions laissé "et ceux qui dévoilent l’imposture, sans nullement être réduits au silence ou emprisonnés, (n'ont) aucun écho effectif?" Et Castoriadis précisait plus loin que cette absence d'écho ne présente au fond pas de différence essentielle quant à ses effets avec ce que serait une censure dans un régime d'ordre totalitaire;il s'agit dans les deux cas d'une réduction au silence qui garde pourtant l'aspect d'un fonctionnement démocratique ici. Bourdieu a traité cette question:"le fait que les journalistes qui ,au demeurant,ont beaucoup de propriétés communes,de condition,mais aussi d'origine et de formation ,se lisent les uns les autres ,se voient les uns les autres ,se rencontrent constamment les uns les autres dans des débats ou l'on revoit toujours les memes ,a des effets de fermeture,et il ne faut pas hésiter à le dire,de censure aussi efficaces,plus efficaces meme parce que le principe en est plus invisible, que ceux d'une bureaucratie centrale,d'une intervention politique expresse". C'est l'effet de cloture du champ médiatique qui doit retenir l'attention ici;pour le BHV ,le réseau de relations tissées ,le carnet d'adresse saturé va lui permettre de s'inscrire dans cette fermeture du champ médiatique qui ne va plus rien laisser passer qui lui soit hétérogène (sauf on verra plus loin dans une autre livraison à le tourner en ridicule ce qui sera d'autant plus facile du fait de l'absence de l'interlocuteur);à l'intérieur de cette cloture va ainsi pouvoir s'organiser un simulacre de débat démocratique,une sorte de catch de la pensée ou ,au bout du compte,il s'agira plus de faire la promotion des uns et des autres par un système de renvoi d'ascenseur;c'est ce qui donne aussi à comprendre qu'il n'est nul besoin de faire appel à une "théorie du complot" pour comprendre les mécanismes quasi-totalitaires à l'oeuvre dans la fabrique de la pensée médiatique et que ceux qui le font témoignent simplement de leur ignorance complète de ces mécanismes et offrent ainsi au champ médiatique une caricature d'opposition qu'il sera d'autant plus facile de tourner en ridicule . Illustration,le passage du BHV dans les Matins de France Culture: BHV (à Alexandre Adler) : « mais moi contrairement à toi je n’ai jamais été stalinien. » Catherine Clément (à BHV) : « (…) dans votre livre, dans ton livre, parce qu’il n’y a pas de raison de prendre des masques de vouvoiement. » Ali Baddou (à tous) : « Je préfère le vouvoiement pour ce qui me concerne, mais allez-y Catherine. » BHL : « (…) Euh Catherine, moi je tiens au tutoiement parce qu’on se tutoie depuis 20 ans, donc je crois qu’il ne faut pas faire semblant de se vouvoyer, ça serait artificiel, si vous permettez Ali Baddou. » Baddou : « Bon. C’est une convention de radio, mais... » BHL : « mais là ce serait… enfin moi j’ai du mal... » Baddou : « vous êtes libre, vous êtes notre invité. » BHL (à Clément) : « Non. Tu as évidemment raison, euh non pardon, tu as tort sur Chevènement (…) ». Plus tard, Marc Kravetz : « Moi je vouvoie Bernard-Henri Levy simplement parce que je ne suis qu’un journaliste, (…) c’est vrai qu’on se tutoie dans la vie par ailleurs parce qu’on s’est connu à une autre époque, (…) le livre est passionnant (…) ». Enfin, Alain-Gérard Slama : « J’ai trouvé ton livre plutôt gentil. C’est-à-dire que je t’ai connu plus méchant. » Et c'est ainsi que dans sa tournée promotionelle ,on ne trouvera pas plus d'interlocuteur critique du BHV qu'on ne trouve de saumons dans les dunes du Sahara;j'entend pas cette pseudo-critique qui n'est là au fond que pour faire la promotion du "produit" mais l'interlocuteur critique qui,comme Bourdieu,s'attaquerait aux conditions sociales ,médiatiquesqui rendent possible l'existence de l'écrivain-journaliste en question et qui s'attaquerait à la racine de ce système de représentations;florilège: Pierre Moscovici, après avoir fait la promo pour BHV sur France Culture le 6 octobre dans Le Monde des Livres (12/10) : « Je sais que Bernard-Henri Lévy agace parfois. Mais c’est aussi, c’est d’abord, un philosophe, un homme qui pense sans craindre la controverse, qui agit juste (…). Son livre, je l’avoue, m’est profondément sympathique, au sens fort du terme, car il exprime des sentiments que je partage. (…) Je partage largement ce diagnostic (…) Dans cette démonstration, qui rappelle un peu par son ton le Péguy de Notre jeunesse, (…), un livre utile au débat. (…) On y trouve une pensée, un avertissement, une grille de lecture. » Précisons ,un philosophe tel qu'il existe dans la représentation médiatique de ce qu'est un philosophe occultant ainsi complètement le fait que dans le champ de l'activité philosophique elle-meme ses produits commerciaux et sa praxis d'écrivain-journaliste ont tout au plus la valeur d'un matériau pour un examen critique des conditions de la société française. "Un homme qui pense sans craindre la controverse":la controverse que lui adresse qui?Celle de Deleuze déjà en son temps,de Vidal-Naquet,de Bouveresse,de Badiou,de Castoriadis,de Halimi,de Bourdieu? Celle que suggère,par exemple, Bourdieu:"BHV est devenu une sorte de symbole de l'écrivain-journal ou du philosophe -journaliste...IL faut voir qu'il n'est qu'une sorte d'épiphénomène d'une structure,qu'il est,à la façon d'un électron,l'expression d'un champ."Vous chercherez en vain la mise en acte reél et sérieuse de cette controverse dans l'espace médiatique.Par contre ,le type de controverse que laisse passer les filtres médiatiques,c'est la controverse inoffensive qui singe le débat celle que suscite un Vincent Peillon : " Comment dire l’intérêt, l’agacement, l’amitié, la réflexion qu’a suscités pour moi la lecture de ce livre ? En disant d’abord qu’il faut le lire, et le prendre au sérieux, et le discuter. Pour déblayer le terrain : ce livre s’inscrit dans une famille, pas seulement celle de la gauche, mais la famille Humanité qui porte le deuil de Dieu et fait la chasse à tous ses succédanés ". La controverse que suscite Le Nouvel Observateur qui, entre une publicité pour un costume Ralph Lauren, et une autre pour l’Alfa Romeo 159 s’interroge : " Polémique autour du " cadavre à la renverse " : Pour ou contre BHV ?"Ce qui frappe dans tout ce miasme dégoulinant c'est l'usage obsessionel du terme "débat" comme une sorte d'amulette magique pour mettre en scène ce catch de la pensée. Et le meilleur pour la fin Jean Marie Colombani dans Challenge:"Telle une figure légendaire du cinéma américain, BHV n’abandonne jamais !"Et de comparer notre cow boy des beaux quartiers à un James Stewart de la de la dialectique avant de conclure par un effarant:"En tout cas, le paysage intellectuel et politique a toute chance d’avoir à se déterminer pour ou contre BHV."Ce qui signifie que l'espace intellectuel en France est circonscrit ,au fond,à sa représentation médiatique,qu'hors des médias il n'est plus de pensée possible;la représentation confondue avec le réel comme il en va de meme pour les champs de l'economie et de la politique.Dans la représentation médiatique de la pensée philosophique BHV est une des références centrales,dans l'espace philosophique réel,il n'a,au fond ,pas plus de place qu'une chiure de mouche.Quand on en est à ce point de confusion et de mystification alors meme que dans le réel paysage intellectuel en France l'insignifiance du bonhomme ne mériterait meme pas une ligne si ce n'est à titre d'enquete sociologique ,on peut penser avec Bourdieu que le champ médiatique a à peu près accompli intégralement sa fermeture sur lui-meme. S'en est assez de tout ce cloaque pour le moment;prenons un bon bol d'oxygène d'attaquer la règle 3.

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